Un début. Quelques barils d'huile de schiste ont déjà été produits dans une unité pilote à Timahdit dans la région de Meknès a annoncé la compagnie pétrolière irlandaise San Leon Energy Plc fin août.
Cotée à Londres, San Leon Energy évalue le potentiel de son permis d’exploration dans la région Nord de Timahdit suite à une licence obtenue le 15 août 2013 pour deux ans afin d'évaluer le potentiel de ces hydrocarbures non-conventionnels au Maroc.
"Notre projet de schistes bitumineux de Timahdit continue à montrer son potentiel à long terme de générer jusqu'à 11 000 barils par jour pendant 30 ans et le travail actuel vise à renforcer l'analyse de rentabilisation pour attirer les investisseurs en capital." a déclaré Oisin Fanning, président exécutif de San Leon Energy.
Devant l'emballement médiatique provoqué par ces annonces au Maroc, l'ONHYM, l'office des hydrocarbures et des mines a dû faire une mise au point : "Ces tests, qui ont donné des résultats encourageants sont considérés comme des essais d’orientation et nécessitent d’être complétés par d’autres séries de tests sur la même installation pour optimiser les résultats."
Selon l'organisme marocain basé à Rabat : "En plus, des essais au niveau des installations pilotes de centaines de kilogrammes par heure doivent également être effectués avant de se prononcer sur la capacité du procédé ENEFIT, proposé par San Leon, à traiter les schistes bitumineux de Timahdit."
Le niveau "théorique" de réserves marocaines est estimé par l’ONHYM à plus de 50 milliards de barils. Sur ce total, 37 milliards de barils proviendraient des seuls gisements de Tarfaya et Timahdit où les ressources sont valorisées en utilisant des procédés de pyrolyse.
L'Usine Nouvelle a demandé à Roland Vially, géologue à l'Institut français du pétrole Energie Nouvelles de clarifier les enjeux des hydrocarbures non conventionnels.
L'Usine Nouvelle : Au Maroc, la junior company San Leon Energy a annoncé avoir produit ses premiers barils d'huile de schiste. Que signifie ce genre d'annonce ?
Roland Vially : De prime abord, il ne faut pas confondre huile de schiste avec le pétrole de schiste comme on le fait parfois. Dans le cas où l'on parle de bloc de schiste bitumineux, il s'agit bien d'huile de schiste qui est un niveau moins avancé de formation que le pétrole de schiste.
Cette huile a une très mauvaise performance énergétique. En fait, ces hydrocarbures non conventionnels sont des ressources non arrivés à maturité géologique. On doit alors les porter à cette maturité artificiellement. Pour en faire du pétrole utilisable, on doit chauffer cette huile à 400 degrés dans des fours qu'il faut construire. C'est un processus et des installations industrielles qui demandent du temps et des investissements très lourds avec un risque élevé. Et c'est coûteux en énergie !
L'attrait des huiles de schiste c'est qu'elles sont plus accessibles que le pétrole de schiste car elles sont moins profondes mais leur extraction ne se fait pas sans nuisance, efforts et investissements, là encore.
Les sociétés d'exploration cherchent avant tout à répartir le risque car dans ce domaine rien n'est garanti à l'avance. Il faut garder à l’esprit que les annonces de découvertes ou de succès dans la mise en production servent aussi à attirer des investisseurs.
À quelles conditions les Etats peuvent-ils décider de favoriser la production d'hydrocarbures non conventionnels ?
Les États ont généralement les cartes en main et des marges de manœuvres importantes. C'est en premier lieu à eux de décider quelle politique énergétique ils souhaitent mener. Si le pays est dépendant vis-à-vis de l'extérieur pour satisfaire ses besoins en énergie, il y a lieu de comparer le coût du baril importé au coût du baril à produire localement à la fois sur des bases économiques et géopolitiques. Généralement, plus le prix du baril de pétrole est cher et mieux il permettra le développement de sources d'énergie alternatives.
Comment se déroule techniquement le processus d'exploitation de l'huile ou pétrole de schiste ?
Pour explorer les schistes bitumineux il faut connaître la teneur potentielle en hydrocarbures de la roche-mère. On procède donc à des analyses géochimiques en mettant dans un four des échantillons et en faisant évoluer le température on analyse les hydrocarbures produits. Généralement on s’intéresse à des roches mères affleurant en surface on peut donc aller directement prendre des échantillons.
Pour des couches un peu plus enfouies, il faut faire de petits sondages (carottages) et récupère ainsi des échantillons. Contrairement à un gisement d’hydrocarbures classique on ne cherche pas un « gisement » mais on cherche à définir la répartition de la matière organique dans la roche-mère pour exploiter les zones les plus riches (ou les plus accessibles avec un teneur acceptable). On a donc généralement pas besoin de réaliser des profils sismiques.
Ensuite une fois la carte de la teneur en matière organique établi on va essayer de produire ces hydrocarbures avec une unité pilote pour tester « grandeur réelle les process de production qui doivent être adaptés à chaque cas. Enfin le dernier stade consiste à bâtir un plan de développement et d’en trouver le financement !
Existe t-il un projet d'exploitation d'hydrocarbures non conventionnels qui a donné des résultats intéressants ?
Quelles stratégies pourraient privilégier des États comme le Maroc pour garantir leur indépendance énergétique ?
Les pays ont généralement intérêt à mener une stratégie de développement de mix énergétique entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables comme le solaire ou l'éolien.
Les Etats définissent alors une politique qui va leur permettre d'encourager les investissements dans les secteurs qu'ils souhaitent développer. Dans ce cas, la fiscalité joue un rôle essentiel dans la mesure où elle définit le niveau de participation que l'État va souhaiter prendre. Les taxes carbone par exemple vont avoir pour objet de limiter les nuisances environnementales.
Il faut savoir qu'une industrie d'hydrocarbures non conventionnels développe une activité industrielle certaine mais qui peut se faire au détriment de zones touristiques ou de terres agricoles. Dans tous les cas à mon sens, il faut persévérer dans la recherche et l'exploration des hydrocarbures non conventionnels parce que la demande énergétique n'est pas prête de s'arrêter.
Propos recueillis par Nasser Djama